"Les politiques passées de l'Europe à l'égart des chiens des rues: Exemple ou contre-exemple?
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Introduction
Quand nous pensons aux chiens* des rues (C.D.R.), nous pensons presque systématiquement à des chiens venus tout droit de l’étranger. Pourtant, nous avons, nous aussi, Européen·ne·s, une histoire avec les C.D.R.
Si cet article est le premier d’une série que j’espère longue, ce n’est pas lié au hasard. En effet, avant de pouvoir explorer les politiques mises en place dans d’autres pays pour la gestion et/ou la diminution du nombre de C.D.R., il est à mon sens essentiel de regarder notre propre histoire en rapport à ces derniers. Réaliser que nos politiques à leur égard ont été, elles aussi, violentes et meurtrières nous permettra peut-être d’avoir un regard moins paternaliste envers les pays qui tentent aujourd’hui de diminuer, parfois drastiquement, le nombre de ces chiens.
Il était important pour moi de revenir sur cette thématique dans un premier temps, car j’aspire dans mes prochains articles à faire un focus sur divers pays. Ces derniers peuvent parfois, mettre en place une politique sévère et brutale à l’encontre de ces C.D.R. Dés lors, à la lecture de ces écrits, des raccourcis tel que définir toute population en fonction de ces politiques, dû à nos propres shémas de pensée socio-culturels, ne devraient à mon sens jamais être fait.
Comme nous le verrons ci-dessous, notre Histoire passée comme présente est, à l’égard d’êtres sentients, tumultueuse.
Dans cet article, comme il s’agit ici du premier, je reviendrai sur ce que sont les C.D.R., leur apparition à nos côtés et, de ce fait, brièvement sur une des théories de la domestication du chien. Ensuite, je développerai l’histoire des C.D.R. en Europe, pour enfin aspirer à répondre à la question "Les politiques passées de l'Europe à l'égart des chiens des rues: Exemple ou contre-exemple?"
Comment définir un C.D.R.?
Les C.D.R. sont définis comme des chiens se reproduisant librement et n'étant pas sous la supervision directe des humain·e·s (Bhadra et al., 2015). Ces chiens peuvent se déplacer librement tout au long de leur vie (Miklosi, 2014). Ce sont généralement des charognards, se nourrissant principalement des restes de nourriture humaine (Mondal et al., 2023). Ils peuvent être catégorisés en plusieurs sous-groupes. Dans cet article, seuls deux sous-groupes seront évoqués quand je parlerai de C.D.R. :
- Les chiens errants appartenant à des propriétaires : ces chiens ont la liberté de mouvement mais sont dépendants d’un individu ou d'un groupe de personnes (Hogasen R. 2013).
Il s’agit donc de chiens qui ont la possibilité de se mouvoir librement mais pour lesquels un individu, ou un groupe, veillera à ce que leurs besoins de base (ou une partie de ces besoins) soient comblés. - Les chiens errants non possédés : ce sont des chiens pour lesquels aucun propriétaire n'a été identifié (Hogasen R. 2013).
Ceux-ci vont devoir répondre à leurs besoins de base (comme la nourriture, l’eau, le couchage, la sécurité, etc.) seuls, en fonction des ressources disponibles (ou non) dans l’environnement.
Alors que dans nos pays on imagine souvent que la majorité sont des chiens de famille confortablement installés dans nos foyers, il en est tout autrement. Actuellement, les C.D.R. représentent la plus grande population de chiens, totalisant 75 % du chiffre mondial (Boitani & Ciucci, 2010 ; Hughes & Macdonald, 2013 ; Lord et al., 2013).
En raison de l'urbanisation croissante, de mesures sanitaires inadéquates et d'une gestion des déchets insuffisante, leur population a augmenté et se trouve en nombre significatif dans les pays du Sud (Mondal et al., 2023). Cependant, l'Europe n'est pas exempte de cette population de chiens (Voslářvá & Passantino, 2012) : dans des pays tels que la Roumanie, la Grèce, la France (principalement sur les îles), l'Italie, la Bulgarie et la République tchèque (Mondal et al., 2023 ; Hogasen R. 2013 ; Voslářvá & Passantino, 2012), on peut les observer en nombre considérable.
Les premiers C.D.R
Il existe plusieurs théories sur les débuts de la domestication des chiens. Coppinger et Coppinger (2001, 2016) soutiennent que la domestication des chiens a commencé avec l'installation de l'agriculture et comparent ces « premiers » chiens aux « chiens de village » actuels. Selon ces chercheu·r·se·s, les C.D.R. seraient donc à la base même de l’histoire de la domestication. Des découvertes archéologiques en Afrique du Sud et au Mexique soutiennent également cette idée (Larson et al. 2012). Cependant, d'autres recherches (Morey et Jeger 2016 ; Perri 2016) suggèrent le contraire - à savoir que l'avènement de l'agriculture a peut-être réduit le nombre de chiens dans d'autres régions (Amérique du Nord, Japon).
Quelle que soit la manière et la raison, il est de toute façon certain que les chiens ont mené une vie de charognards au cours de l'histoire de cette domestication. Les premières traces certaines de C.D.R. se retrouvent en Égypte ancienne. En effet, Lortet et Gaillard (1903) ont décrit les corps de nombreux animaux, entassés par milliers, dont des chiens momifiés. Le processus de momification différait d’un animal non humain à l’autre. À cette période, il semblerait que le choix du processus dépendait du statut social : qu'il s'agisse de chiens de famille, de chiens de chasse ou de chiens errants. C’est donc à travers ces différents procédés qu’il a pu être mis en évidence qu’à cette période des C.D.R. étaient présents en Égypte.
Les C.D.R en Europe
Bien que la présence de ceux-ci ait déjà existé pendant une période plus longue, et ait potentiellement marqué le début de la domestication (comme vu ci-dessus), ce n'est qu'à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance que l'on trouve les premières évocations de leur existence en Europe. Avant cela, seuls des chiens de chasse ou des chiens de famille étaient représentés (Johns, 2008). C'est au XVIe siècle que l'on trouve une pléthore de peintures et d'écrits liés à ce sujet. De nombreuses gravures et peintures représentent des environnements urbains en Belgique (anciennement les Pays-Bas), où l’on peut y voir un nombre frappant de chiens errants dans les rues : sur les places publiques, les bâtiments religieux, les avenues de la ville, et plus encore (Riguelle, 2016).
Dans des villes telles que Liège, Mons, Paris et Valenciennes, la législation les concernant témoigne de l'importance de leur nombre. En effet, pendant cette période, de nombreux décrets ont été émis dans le but d'éliminer ces chiens errants des rues. Ces écrits suggèrent qu'il y avait deux catégories de chiens : ceux tolérés (probablement principalement de travail et de chasse) et les autres (Riguelle, 2016).
Au Moyen Âge et par la suite, certaines localités comme Ath, Mons, Lille et Vienne employaient un "tueur de chiens" : cet animal désigné comme une nuisance devait être éradiqué, surtout en période de rage. Pendant ces périodes d'épidémies, leurs massacres, de Liège à Londres (Exbalin, 2015), étaient monnaie courante (Riguelle, 2016).
Arnaud Exbalin (2015) dans son article "Le grand massacre des chiens" explique qu'au Mexique, le massacre des chiens est bien plus qu'un acte "hygiénique" dans cette région du monde ; c'est une façon "colonialiste" d'imposer l'ordre, servant de forme de coercition "périphérique". Selon l'auteur, ces massacres sont directement liés à la chasse aux pauvres, comme un acte symbolique.
En Europe, le changement en termes de liberté accordée aux chiens est directement lié à l'évolution de la police urbaine pendant le "Siècle des Lumières" : "La police urbaine du XVIIIe siècle rêve d'un nettoyage complet, de rues libres de choses encombrantes, telles que des êtres jugés inutiles (chiens, enfants, mendiants)", comme le démontre ici Denys (cité dans Riguelle, 2016), on peut comprendre qu’en Europe aussi il pouvait s’agir d’un symbole du désir de se débarrasser des « parias ».
En conséquence à cette volonté d’élimination, les "bourgeois" ne peuvent plus laisser leurs chiens errer librement – alors que ces réglementations s'appliquent généralement uniquement en période de peste - il devient obligatoire de les tenir en laisse ou confinés. C’est donc sans doute, ici que commence l’histoire de la vision du chien telle que nous l’avons aujourd’hui en tête, confinés dans nos foyers et/ou nos jardins et tenus en laisse dans les milieux urbains.
Ajoutons à cela qu’à cette même période, une taxe sur la possession d'un animal est imposée, que la majorité des personnes « non-bourgeoises » ne peuvent se permettre de payer (Riguelle, 2016).
Tous ces éléments mis ensemble permettent ainsi aux autorités d'engager un massacre de chiens sans craindre de représailles des populations bourgeoises puisque plus aucun de leur animal de compagnie n’est noyé « accidentellement » (Riguelle, 2016).
Tandis que si on se penche un peu plus localement sur notre belle ville, Bruxelles, on peut s’intéresser au mot Bruxellois : Zinneke. Ce mot utilisé comme synonyme pour un canidé de race croisé est, à présent détourné et utilisé avec fierté afin de représenter l’auto-dérision, le côté rebelle et la multiculturalité de la ville. Pourtant, ce mot semble porter malgré lui les traces de notre héritage passé. Son origine comporte plusieurs théories. Pour certains le mot « Zinneke » ferait référence aux chiens des rues qui vivaient le long d’une branche de la Senne (Wikipédia). Pour d’autres « zinne » ferait en effet, référence à cette rivère mais le « -ke » (qui signifie petit en bruxellois) serait en lien avec les « petits chiens » : ces chiots qui, à cette époque y auraient été noyés (Brussels by food). Pour ChatGpt, le mot « Zinneke » viendrait du mot « zinnekot », « zinne » pour « sans valeur » ou « mauvais », « kot » signifiant « chien ».
Bien que ces histoires soient plus de l’ordre de la légende urbaine qu’un fait historique, au vu du manque de preuves tangibles sur ce point, on peut tout de même constater que le mot Zinneke est, dans chacune des théories, en lien avec les C.D.R de Bruxelles et le peu de considération que nos ancêtres, avaient pour eux.
En Roumanie, la question des C.D.R a été largement documentée à la fin du XIXe siècle. Pendant la même période, de nombreux chiens ont été tués et brûlés car ils représentaient un risque pour la santé publique : la rage et la contamination des sources d'eau par le choléra, ainsi que les risques de morsures. Le rôle « d'attrapeur de chiens » a également émergé. Dans les années 1860, entre 300 et 400 chiens étaient tués tous les 15 jours (Karamaniola, 2017).
Pendant l'ère soviétique, la guerre contre les chiens a atteint son apogée : les chiens errants étaient considérés comme de véritables nuisances. Chaque peau rapportée par un "attrapeur" garantissait une récompense. Ainsi, dans les années 1980 à Bucarest, plus de 20 000 chiens ont été capturés en une année seulement. Cependant, au fil des ans, les règles se sont assouplies, et pendant l'ère post-communiste, le nombre de chiens errants a atteint son summum. À Bucarest seule, on recensait plus de 200 000 chiens errants (Karamaniola, 2017).
Toutes ces législations que l’on retrouve en Europe, aussi désolantes soient-elles, constituent une preuve de l'existence de C.D.R. dans notre continent depuis au moins la fin du Moyen Âge.
Dans certaines régions d’Europe, malgré les massacres, les C.D.R ont réussi à survivre, parfois aidés par des humain·e·s indigné·e·s (Karamaniola, 2017), qui les ont déplacés à la campagne pour réduire le risque qu'ils soient tués (Riguelle, 2016), ou encore par leur nourrissage (Karamaniola, 2017).
Ces points mettent en avant la nécessité de la participation citoyenne au programme proposé par les politiques en matière de C.D.R. Il est évident que ceux axés uniquement sur le résultat, tels que l'euthanasie ou l'augmentation de la capacité des chenils, ne résoudront pas les problèmes sous-jacents de manière aussi efficace que les programmes à long terme qui mettent l'accent sur l'application des lois, l'éducation des propriétaires et la stérilisation des animaux de compagnie (Voslářvá & Passantino, 2012 ; Mannhart et al., 2007 ; Hogasen R. 2013).
Pourtant aujourd'hui en Roumanie, les attrapeurs de chiens sont toujours actifs, capturant des chiens et les plaçant dans des "refuges mouroirs" : des cages où ils sont entassés et desquelles ils ne sortiront plus jamais. Tandis qu’en 2013, une loi autorisant l'euthanasie des chiens a été adoptée dans ce même pays (Karamaniola, 2017).
Conclusion
La question des C.D.R., souvent catégorisée comme un problème des "pays en développement", est en fin de compte une préoccupation mondiale. À mon sens, il semble nécessaire de tirer des leçons de notre passé : tuer ne résoudra pas le problème, tout du moins sans la participation des citoyen.ne.s. Peut-être est-il temps de considérer cette question pour ce qu'elle est : une question de santé publique mais aussi d'éthique - car, que les politiques l’admettent ou non - les chiens sont des êtres sentients (Passantino A. 2008). Nous sommes d’ailleurs nombreux et nombreuses à nous offusquer lorsque des pays mettent en place des politiques « fortes » telles que l’enfermement, la déportation, l’empoisonnement, ou l’euthanasie des C.D.R. De ce fait, même si elles ne constituent pas à elles seules une solution, les adoptions internationales de ces chiens européens (ou non) persécutés, deviennent de plus en plus courantes et offrent un moyen de prendre en charge le bien-être de ces chiens (Mondal et al., 2023 ; Hogasen R. 2013).
Mais, et cela afin de ne pas tomber dans le jugement, voire des propos racistes, il est à mon sens important de se rappeler que cette thématique a été chez nous une « problématique » de santé publique que nous avons solutionnée, tout simplement, en massacrant les C.D.R.
Rappelons-nous que cette question est entourée de multiples facteurs tels que la culture, la religion, la politique, la santé publique, etc. (Serpell, 2004 ; Szűcs et al. 2012 ; Amiot, 2014). Avant d’être considérés comme des animaux de compagnie ayant intégré nos foyers, ces chiens étaient encore hier, dans nos pays, considérés comme des « parias » vecteurs de maladies.
La vision socio-culturelle et le lien que nous avons avec ces animaux sont, sans grand doute, d’une importance cruciale pour le choix des politiques mises en place à leur encontre. Aujourd’hui en 2023 à Bruxelles, nous empoisonnons encore des rats dans les parcs bruxellois, agonisant lentement jusqu’à leur mort douloureuse. Aujourd’hui en 2023, des cochons sont mis en enclos, sans espace, entassés, et ne pourront jamais voir la lumière du jour. Socio-culturellement, ces animaux sont, pour les uns, considérés comme nuisibles, pour les autres, considérés comme bétail. De ce fait, peu de citoyen·ne·s s’offusquent de leurs conditions de vie et/ou de mort, alors que pourtant, il s’agit là aussi d’êtres sentients.
Il est importance de garder à l’esprit que la relation humain.e/animal varie en fonction (entre autres) de multiples facteurs socio-culturels (Serpell, 2004 ; Szűcs et al. 2012 ; Amiot, 2014). La relation humain·e/chien n’a pas toujours été à l’image de celle que l’on connaît dans nos pays, il n’y a pas de norme « établie » et « mondiale » sur la représentation de cette relation.
La question des C.D.R. est toujours une question "problématique" dans notre continent. Pour les pays qui n’ont plus à s’en inquiéter, cela est le fruit d’une politique brutale et meurtrière envers les C.D.R. Tandis que dans les régions où ils sont encore présents en Europe, ceux-ci sont toujours encloisonnés et/ou tués.
Analyser, observer, s’interroger, est une chose, mais n’oublions pas de rester précautionneu.x..se.s dans la synthèse que l’on en fait, car la frontière est faible entre la critique et le néo-colonialisme.
Il était à mon sens nécessaire de revenir sur notre propre Histoire avant tout autre chose, afin que ma position soit claire: J'entends tenter de comprendre les contextes spécifiques dans d'autres pays, mais jamais je ne me placerai comme ayant les réponses à toutes les questions éthiques, socio-culturel, politico-économiques, etc. à laquelle le sujet principal, les C.D.R, sont inévitablement reliés.
Quand il s’agit d’examiner ce qui se déroule dans des continents étrangers au nôtre, gardons en tête que, au vu de notre Histoire passée et des massacres qui se passent encore à l’heure actuelle dans nos pays sur des êtres sentients, nous sommes, à mon sens un parfait contre-exemple de ce qu’il pourrait être fait éthiquement, aujourd’hui en 2023.
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Lola Burton
Merci à Géraldine Merry (Vox canis) pour ses avis et son aide.
* Pour des raisons de lisibilité, j'ai choisi (avec un certain regret) de n'utiliser l'écriture inclusive que pour les humain·e·s.
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Wikipédia, « Het Zinneke » disponible sur : Het Zinneke — Wikipédia (wikipedia.org). consulté le 11/11/23
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