La sensibilité au traitement sensoriel

Publié le 25 janvier 2024 à 14:43

Notre perception du monde se façonne à travers nos sens : les systèmes tactile, olfactif, auditif, gustatif, visuel, vestibulaire (gravité et mouvement) et proprioceptif (muscles et articulations) (Caucal et Brunod, 2020). Chaque espèce interprète les stimuli de son environnement en fonction de ces sens. Cependant, serait-il possible, au sein de la même espèce, que les perceptions diffèrent les unes des autres ? Cette divergence pourrait être d'origine anatomique, comme l'olfaction chez l'humain qui varie considérablement d'un individu à l'autre (comme expliqué dans l'article précédent), ou résulterait de la façon dont notre cerveau « traite » et « trie » ces stimuli.

En réalité, et sans plus de suspense, c'est effectivement le cas. Ce dernier phénomène correspond à ce que nous appelons l'intégration sensorielle. Des récepteurs spécifiques captent des stimuli externes ou internes, les transformant en informations sensorielles qu'ils envoient directement au cerveau. Ce dernier interprète et traite celles-ci pour générer une réponse motrice et comportementale (Galiana-Simal et al., 2020). Au cœur de ce processus, la modulation sensorielle émerge comme une phase cruciale. Elle permet au système nerveux central de réguler l'intensité des réponses en fonction des stimuli perçus (Morvan 2018-2019). En résumé, elle est essentielle pour "filtrer" les stimuli de l'environnement en fonction de leur "intérêt" et de leur "importance" et de décider ce qu’il convient de faire. Cette modulation est responsable du contrôle de l'éveil et de l'état de vigilance. Ainsi, on comprend que l'intégration sensorielle est essentielle pour tout être, qu'il soit humain ou non. Cependant, il est également crucial de noter qu'une sur-activité ou une sous-activité de ce système peut être néfaste. C'est ce qui nous conduit au sujet qui nous intéresse ici : la sensibilité au traitement sensoriel (STS).


Dans cet article, je vous propose dans un premier temps de nous arrêter sur cette sensibilité sensorielle chez l’humain, car c’est sur notre espèce que le sujet a été le plus étudié. S’arrêter sur ce point permettra de tenter de comprendre les causes et les caractéristiques de la STS. Ensuite, nous reviendrons sur une métaphore qui sera utilisée tout le long de cet article : celle du pissenlit, de la tulipe et de l’orchidée. Après cela, nous rentrerons dans le sujet qui nous intéresse tout particulièrement ici : le STS dans le monde canin. Pour se faire, il nous faudra revenir dans un premier temps sur la question de personnalité dans le monde animal non-humain, pour ensuite décrire les particularités d'un chien dit « hautement sensible », les facteurs aggravants mais également ce que cette sensibilité apporte de positif. Enfin, et pour finir, je vous propose d’aller creuser ensemble la question des choses à mettre en place, ou au contraire à éviter quand on a un chien avec une sensibilité aux traitements sensoriels.
J’aspire à ce qu'à la fin de cet article, vous puissiez mieux comprendre les particularités d'un chien avec une sensibilité au traitement sensoriel.  Comprendre que cette STS peut être dévastatrice pour la santé mentale et le bien-être de votre chien - comme elle peut être d’une incroyable beauté si on prend la peine de s’y arrêter, de la prendre en compte, et qu’on en prenne soin avec finesse et bienveillance.

Sensibilité au traitement sensoriel chez l’humain-e :

 

La « sensibilité au traitement sensoriel » ou « haute sensibilité » implique un traitement plus approfondi des informations sensorielles, pouvant être associé à une suractivation physiologique et comportementale (Braem et al., 2017). Pour une personne « hautement sensible », un stimulus serait perçu plus intensément que pour une personne non « hautement sensible » face au même stimulus.

Ce terme est relativement récent. C’est en 1997 qu’Aron & Aron l'ont défini pour la première fois chez l’humain.e comme "une dimension génétiquement déterminée impliquant un traitement cognitif plus profond des stimuli, stimulé par une réactivité émotionnelle plus élevée". Depuis lors, elle a été relativement investie par les recherches (Greven, 2019). Et pour cause, on estime que 15 à 20 % de la population humaine porte de ce trait (Aron et al. 2012). Des recherches plus récentes (Pluess et al., 2017 ; Lionetti et al., 2018), suggèrent que ce chiffre a même été sous-estimé et qu’il serait plus proche des 20 à 35%. Dans ces mêmes études, trois groupes ont été distingués les uns des autres : les STS « élevé » ; STS « moyen » - de 40 à 47 %- et les STS faible- 25 à 35 %.

 

Les causes :

Même si à l’heure actuelle les causes sont loin d’être certaines, on suppose que la STS a une composante génétique influencée par l'interaction avec des conditions environnementales- prénatales, périnatales, et postnatales (Braem et al., 2017). Cette sensibilité va avoir pour conséquence un traitement plus approfondi des pensées et des émotions, avec une probabilité plus élevée d'être surstimulé, une intensité émotionnelle plus élevée et une sensibilité accrue aux stimuli subtils. Ces caractéristiques de la STS ont été suggérées comme une conséquence d'un traitement cognitif plus profond et complexe, qui n’est pas en lien avec des capacités sensorielles anatomiques différentes (Aron et al. 2010). Même si les études sont encore peu nombreuses sur ce sujet, des liens ont été faits entre le STS élevé et des différences dans les systèmes de neurotransmetteurs dopaminergiques (Chen et al. 2011) ainsi que dans le système sérotoninergique (Homberg, 2016).


Les individus ayant des scores élevés en STS présentent des différences dans le fonctionnement cérébral : une activation plus élevée des régions cérébrales liées à la conscience, à l'empathie, à l'intégration et à la distinction entre leurs propres émotions et celles des autres, du système des neurones miroirs en réponse à des stimuli sociaux affectifs (Acevedo, 2014) dû à une activation plus élevée de certaines zones cérébrales (Jagiellowicz et al, 2010). Les études d'imagerie faites sur des rongeurs indiquent une activité altérée du cortex préfrontal, de l'amygdale, de l'insula, du noyau accumbens et de l'hippocampe (Greven et al., 2019).


Pour résumer, on peut comprendre que ce trait de caractère est sans doute lié à une base physiologique différente dans l’intégration sensorielle (Braem et al., 2017). Ainsi l’interaction avec l’environnement pour une personne avec une haute sensibilité peut affecter le bien-être psychologique (Aron, 2005 ; Evers, 2008).

 

Les caractéristiques principales : PISS

On peut donc comprendre que la STS n’est pas une pathologie - contrairement au trouble du traitement sensoriel - mais est considérée comme un trait de caractère. Les individus présentant ce trait de caractère pourraient être considérés comme ayant un « filtre plus fin » à l’environnement. Aron propose d’utiliser l’acronyme D.O.E.S (« fait » en anglais) pour décrire les 4 principales caractéristiques de ce « filtre plus affiné » - que l’on peut modifier en français par l’acronyme… PISS (c’est le mieux que j’ai pu trouver !)

 

P- Profondeur de traitement : Ces personnes présentent un « comportement d’arrêt et d’observation » et prennent le temps d’analyser, de comprendre, de faire des associations avant de prendre des décisions.

I- Intensité émotionnelle : Ces personnes ressentent intensément leurs émotions. Elles sont régulièrement considérées comme très empathiques, et perçoivent facilement les émotions des autres.

S- Surstimulation : Elles sont plus facilement surexcitées par des stimuli externes ou internes.

S- Sensibilité sensorielle : Ces personnes sont plus sensibles aux stimuli extérieurs subtils (un parfum par exemple) ou internes (la faim ou la douleur, etc.).

 

 

L’orchidée, la tulipe et le pissenlit :


Boyce (2005) utilise une métaphore que j’apprécie tout particulièrement - L’image de pissenlit et des orchidées.
Les pissenlits - fleurs qui arrivent à prospérer dans différentes circonstances indépendamment de la qualité du sol, du soleil ou encore de la pluie - représentent ces êtres vivants avec une plus grande résilience, une capacité à s’adapter rapidement et ce malgré des expériences d’adversité significative : Les STS faible.

Les Orchidées, quant à elles, sont des fleurs sensibles au contexte : à la température, à l’ensoleillement, l’humidité. Si ces conditions ne sont pas rassemblées et que des conditions de négligences sont présentes, alors l’orchidée décline rapidement. Mais, à l’inverse avec du support et les soins nécessaires, elle devient une fleur délicate qu’il est plus qu’agréable à admirer.

Lionneti et ses collègues (2018) rajoutent à cela par la suite un troisième groupe : les tulipes. Les tulipes sont très courantes, sont plus sensibles au climat que les pissenlits, cependant elles sont moins fragiles que les orchidées. Ainsi, par cette image, cette chercheuse a voulu mettre en évidence qu’il n’y avait pas une dichotomie : très sensible ou peu sensible. Certaines personnes sont très sensibles - les orchidées, la majorité a une sensibilité moyenne - les tulipes - et une minorité a une sensibilité particulièrement basse - les pissenlits.

Dans cet article, il s'agit de se focaliser sur l'orchidée et sur ses particularités. Évidemment, ce n'est qu’une métaphore visant à rendre la lecture de cet écrit plus accessible. Si je décris l'orchidée par son incroyable beauté, il est essentiel de comprendre qu'il ne s'agit ici aussi, que d'une image. La beauté n'est à mes yeux qu'une particularité parmi tant d'autres. Si le focus était porté, par exemple, sur le pissenlit, sa couleur aurait représenté un petit soleil brûlant chaque météorite l'approchant, et sa tige robuste mais sachant se plier sous le vent aurait symbolisé son adaptabilité. Ainsi, tout au long de cet article, il ne s'agit pas d'établir un classement entre chaque fleur ni de faire l'éloge à l’orchidée, ou encore à la beauté.

Il est également important de comprendre que ces fleurs se situent sur un "continuum de sensibilité au traitement sensoriel", établi en fonction d'une norme. Des sous-classements de chacune de ces fleurs pourraient être réalisés, tandis que des hybrides mêlant orchidée et tulipe peuvent également exister.



Les chiens peuvent-ils être des orchidées ?


Comme nous l’avons vu plus tôt, la sensibilité au traitement sensoriel est un trait de caractère. Il est dès lors nécessaire de revenir, ne serait-ce que brièvement, sur la notion de personnalité dans le monde animal.

 

Qu’est-ce qu’une personnalité ?

Aujourd’hui, il n’existe pas de définition unanime pour ce terme. Elle se décrit généralement par un ensemble de caractéristiques physiologiques et comportementales qui sont cohérentes et stables dans le temps et dans des contextes différents. Dans le domaine animal, ce terme est souvent interchangeable avec celui du « tempérament » ou encore du « comportement ».

Les modèles humains de personnalité ont été utilisés avec les animaux à plusieurs reprises. Goslin & John (1999) ont examiné de nombreuses études portant sur les modèles de personnalité et leur pertinence dans le monde animal non-humain, allant des mammifères aux oiseaux et même aux invertébrés. Même si l’ensemble des items ne convenait pas à tous les animaux, pour d’autres c’était bel et bien le cas.

Chez le chien, cette question a été largement étudiée (pour n’en citer quelques-uns : Sinn et al, 2010 ; McGarrity et al. 2016 ; Vartberg, 2005). C’est ainsi que l’exploration, l’audace/la timidité, la peur, l’agressivité, l’impulsivité, la frustration et la réactivité aux changements environnementaux sont le plus étudiés. Dans tout cela commence à surgir l’intérêt de cet article : La sensibilité au traitement sensoriel. Braem et ses collègues (2017) ont ainsi développé un questionnaire pour évaluer le "score du chien hautement sensible" se basant sur celui de la "personne hautement sensible".

S’il est essentiel de comprendre que le modèle de sensibilité humain peut s’appliquer aux chiens, il est également essentiel de souligner que la personnalité d’un individu n’est pas définie par ce seul trait. Comme le souligne Braem (2024), « La personnalité d’un individu est la somme de l’interaction de nombreux traits. ». Nous ne sommes pas soit « sensible » soit « optimiste » soit « empathique ». Chacun de ces traits pourra influencer l’autre dans un ensemble que l’on nomme : la personnalité. Ainsi, si nous nous arrêtons ici sur la STS, gardons à l’esprit qu’elle ne peut nous définir nous, ou notre chien, elle n’est qu’une part de ce qui forme un ensemble complexe.

 

Si on reprend l’image de notre fleur, votre chien n’EST pas cette fleur. Cette fleur elle est en lui, en dessous de ce Saul-pleureur ou de ce pommier - imageant un autre trait de personnalité - un peu plus loin, une plante grimpante ou un arbuste piquant. C’est cela la personnalité de nos chiens : ce jardin « intérieur » ; cet ensemble complexe interagissant l’un avec l’autre. Certains jardins auront besoin de plus d’entretien - pour ne pas que la plante grimpante se hisse par-dessus l’orchidée. Parfois ce même entretien devra être pointilleux - il ne faudrait pas tailler trop fort ce pommier qui apporte la luminosité idéale à cette fleur - alors que d’autres seront beaucoup plus autonomes et résilients.

Ici, il s’agit de porter notre attention sur l’orchidée – sur les soins qu'elle nécessite - et sur les éléments qui l’aideront ou inversement nuiront à son bien-être - mais que l’on s’entende, cet article n’a pas pour but de définir votre chien avec cette unique fleur.

 

L’orchidée dans le monde canin- à quoi ressemble-t-elle ?

Braem et ses collègues (2017) proposent de reprendre le modèle P.I.S.S pour le monde canin :

 

P- Profondeur de traitement : Tout comme chez l’humain-e, cela implique qu’ils aient besoin d’informations et qu’ils aient besoin de temps pour traiter ces mêmes informations.

I- Intensité émotionnelle : ce point a été mis en lien avec une vie émotionnelle plus intense mais aussi individus plus sensibles à la perception des émotions des autres chez l'humain-e. Concrètement, Braem (2017 ; 2024) suggère que ces chiens seraient plus sensibles à une personne anxieuse ou nerveuse. Bien sûr, il ne s’agit pas ici de culpabiliser les humain-e-s qui parfois ont elles et eux aussi des Orchidées dans leur propre jardin. Il s’agit juste d’être conscient-e que notre stress peut, potentiellement plus atteindre les chiens avec une STS – mais, ne vous inquiétez pas, comme nous le verrons plus tard si vous êtes vous-même une orchidée cela aura aussi, son lot d’avantages pour la relation avec votre chien hautement sensible.

S- Surstimulation : Les orchidées sont plus rapidement submergées par la présence de stimuli trop nombreux et/ou trop intenses (Braem, 2017 ; Braem, 202). Cette surstimulation sensorielle peut être plus intense dès lors que d’autres facteurs s’accumulent - comme un manque d’informations, un manque de temps pour l’analyse, ou la présence d’une réponse émotionnelle et physiologique déjà présente.

S- Sensibilité sensorielle: Les Orchidées sont plus susceptibles de prendre conscience et de réagir plus fortement aux stimuli sensoriels - et donc que ces chiens soient plus facilement dépassés par des informations sensorielles trop intenses ou trop nombreuses dans l’environnement. Mais sont probablement aussi plus interoceptifs : c’est-à-dire qu’ils ont une perception plus intense des signaux internes du corps. Dubei et ses collègues (2020) suggèrent que cette sensibilité sensorielle influencerait la facilité à être submergé par le stress. En effet, les orchidées pourraient être susceptibles d'avoir une sensibilité accrue au stress et/ou un seuil de tolérance plus bas. Tandis que ces chiens peuvent plus rapidement souffrir d’inconfort physique, pouvant se manifester uniquement par des changements de comportement plutôt que par des symptômes physiques évidents. Ces comportements peuvent être variés et seront en fonction du chien. Braem et ses collègues (2017) prennent l’exemple de chien éprouvant des agitations la nuit, une appréhension au toucher, la peur de sortir en promenade ou encore la peur des bruits.

 

Quand l’orchidée risque de se fâner :

Alors que je disais plus haut que l’orchidée n’était qu’une plante de ce jardin entier qu’est la personnalité, il reste néanmoins une relation entre cette fleur et les autres plantes de ce jardin. En effet, chez l’humain-e, la personne « hautement sensible » est également plus susceptible d'être craintive, timide ou introvertie, mais : ce n'est pas une règle absolue ! Chez le chien, un chevauchement avec la peur et le neuroticisme (propension au ressenti d’émotions négatives) a pu être identifié comme régulièrement présent, mais ce n'est pas là non plus forcément toujours le cas (Braem, 2024).

Il reste que, comme nous l’avons vu plus tôt, les orchidées sont moins « résilientes » que les tulipes ou encore les pissenlits, et sont plus rapidement submergées par le stress. Ainsi on peut comprendre que nos chiens hautement sensibles sont dès lors, dans un environnement plus hostile ou encore avec des douleurs aigues ou chroniques, plus à risque de développer un stress chronique, de l’anxiété ou même un syndrome de stress post-traumatique - ces derniers étant susceptibles d’augmenter la sensibilité sensorielle du chien. Et c’est ainsi que…le serpent se mord la queue.

 

Quand l’orchidée éclos :

Alors que vous progressez dans la lecture de cet article, vous commencez à vous dire qu’avoir un chien avec un jardin où florissent des Orchidées a son lot de désavantages. Mais je vous arrête tout de suite, si les chiens « hautement sensible » ressentent une intensité émotionnelle plus intense, cette dernière comprend tant les émotions à valence négative que positives. En effet, les avancées sur la haute sensibilité sensorielle reconnaissent que les personnes portant ce trait de caractères sont susceptibles d’être plus grandement affectées par des expériences négatives MAIS également par les positives (Braem, 2024).

Dans le domaine de la petite enfance, la recherche a mis en évidence que les enfants hautement sensibles dans un environnement défavorable étaient plus susceptibles de développer des « problèmes » de santé mentale en grandissant. Cependant, les enfants hautement sensibles ayant grandi dans un environnement positif et favorable étaient, quelques années plus tard, des adultes plus épanouis que les humain-e-s non sensibles ayant grandi dans un environnement similaire (Braem, 2024).

Ainsi, on peut comprendre qu’en prenant grand soin de l’orchidée de notre chien, en y mettant le bon terreau, en soignant son environnement, et ce dès la semence, arrivée à floraison cette fleur sera d’une beauté incroyable.

 


Le bon terreau- la bonne luminosité- le bon environnement :

Malgré sa beauté, vivre avec un chien qui a dans son jardin cette fleur si fragile qu’est l’orchidée, peut-être compliqué. Loin de moi l’idée de nier cette évidence. D’autant plus quand à cette STS s’ajoute d’éventuelles comorbidités ( santé mentale) ou multimorbidités (santé physique).
Il s’agira, dans ce cadre-là de vous faire accompagner par des professionnel.le.s du monde canin.
Néanmoins je vous propose d’explorer rapidement les bases dont l'orchidée a besoin pour fleurir, et c’est une évidence qu’il ne s’agit ici que de pistes de réflexions.

  • Compréhension de son chien et de son orchidée :
    La première étape sera sans doute de réaliser que son chien a une orchidée dans son jardin.
    Si vous êtes arrivé-e jusqu’ici dans cet article, c’est sans doute votre cas, et vous en avez déjà conscience. Peut-être avez-vous, vous aussi, une orchidée dans votre petit terreau interne. En effet, Dubé et ses collègues (2020) mettent en évidence dans leur étude que plus le jardin de l’humain.e et du chien se compose des mêmes fleurs, moins de problèmes de comportements sont signalés. À l’inverse, plus ces jardins sont différemment constitués, plus de comportements sont vus comme indésirables par l’humain.e, atteignant son summum quand celui du chien se compose d’orchidées et celui de l’humain de pissenlits. Une des hypothèses est qu’au plus les personnalités sont proches l’une de l’autre, au plus l’humain est capable de reconnaître les signaux de malaise et de stress du chien ainsi que ses besoins spécifiques. Tandis qu’à l’inverse, des humain.e.s avec une personnalité différente peuvent ne pas être conscient.e.s, minimiser la « problématique » ou tout simplement ne pas comprendre.
    Il n’y a pas d’échelle de valeur - de jardin qui soit plus adaptée pour adopter un chien - si vous lisez ces lignes avant d’accueillir votre canidé, l’idéal serait donc de vous faire conseiller par un éleveur.euse ou professionnel.le du refuge éthique et responsable afin de tenter de trouver ce futur chien en fonction de votre environnement ET de votre propre jardin.
    Tandis que si votre chien est déjà dans votre foyer - que vos jardins soient différents ou non - il faudra, à mon sens, comprendre vos différences, exercer vos capacités à la compréhension des signaux de malaise de votre chien et vous évertuer à tenter de comprendre « son monde ».
    Ainsi, il sera prioritaire de comprendre les types de stimulus qui créent une surcharge cognitive chez votre chien - mais aussi ceux qui l’aident à se calmer.

 

  • Exclure la douleur :
    Si votre chien présente une sensibilité au traitement sensoriel, les premières choses à exclure seront d’éventuelles causes organiques telles que des douleurs aiguës, ou encore des douleurs chroniques. Qu'elles soient ostéo-articulaires, neuro-sensitives ou encore gastro-intestinales, les douleurs influencent notre perception sensorielle, et il sera dès lors essentiel de retirer cette potentielle cause, avant tout.

 

  • L’environnement :
    Si les chiens hautement sensibles vivent plus intensément les stimuli sensoriels, l'une des priorités sera, dès lors, d'adapter l'environnement.
    Il faut imaginer que chaque chien a un quota de stimuli propre à lui. De ce fait, un chien hautement sensible habitant dans le centre-ville de Bruxelles sera plus rapidement submergé par les stimuli que celui qui vit dans la campagne wallonne.
    Tandis qu’un chien hautement sensible dans un foyer très animé - prenons l’exemple d’une famille nombreuse, ou/et d’un foyer avec la venue de nombreu.x.ses invité.e.s - pourra lui aussi être au quotidien submergé par ces stimuli.
    Ainsi, leur quota est rapidement atteint - la fleur est arrosée trop régulièrement et/ou avec une trop grande quantité - la cascade de stress se mettant plus rapidement en route, le stress chronique voire l’anxiété peuvent faire leur apparition.
    En somme la priorité pour ces « sensibles » sera de gérer le nombre de stimuli - d’adapter leurs promenades et d’adapter leur lieu de vie.

 

  • Ne pas surstimuler, la décompression et le travail de la résilience :
    Les individus très sensibles sont attentifs aux détails, tout en traitant l'information plus en profondeur. Ce processus peut susciter des émotions intenses. Surstimuler notre chien pourrait avoir comme conséquence d’inonder son jardin intérieur.
    Le défi sera donc de trouver la bonne quantité et le bon type de stimulation en fonction du chien. Trouver l’équilibre entre la stimulation et le repos dans son quotidien.
    Il sera essentiel de leur fournir des moments de décompression. Ces moments seront en fonction de votre chien et de ce qui l’apaise : musique, massage ou simplement un endroit sans stimulation. Tandis que les laisser faire un « break » durant une promenade - en passant par une séance de décompression ou encore leur laisser du temps pour observer et analyser la situation sera essentiel.
    L’obéissance sera sans doute l’élément le moins intéressant à travailler. La priorité devra être, à mon sens, le travail sur la résilience - la capacité à se remettre d’un stress - pour ces chiens et/ou ces chiots.

 

  • Le choix, le contrôle et la prévisibilité :
    Leur donner l’opportunité de dire « non » à des caresses, à une sortie ou à un entraînement quelconque. Pour certains chiens, il sera nécessaire de leur apprendre qu’ils peuvent dire « non » et comment le faire. Ce point leur permettra d’augmenter l’agentivité - la capacité à avoir une influence sur son environnement - par exemple, décider de s’isoler dans sa zone de sécurité ou encore de s’éloigner d’un déclencheur en promenade.
    La prévisibilité quant à elle sera primordiale - Ce ne seront ici que quelques exemples, mais il peut s’agir de mettre en place une routine et/ou de prévenir quand on va faire un « bruit » ou encore dans les environnements non contrôlables de faire des "pattern games" (jeux/entraînements qui suivent toujours le même schéma - qui se répètent).

 

  • La méthode éducative :
    Il n’y a plus besoin, je pense, de rappeler que l’utilisation de la punition positive (l’ajout d’un stimulus désagréable après l’apparition d’un comportement) augmente le risque d’apparition de comportements agressifs et de comportements dits « indésirables », induit des humeurs négatives rendant le chien plus pessimiste (Todd, 2018), influence négativement la relation humain/chien, et a un impact sur le bien-être du chien (Casey et al. 2021 - pour n’en citer qu’une).
    Dès lors, on pourrait s’attendre à ce que les chiens avec une haute sensibilité soient d’autant plus impactés par ce type de méthode. Pourtant, Dubei et ses collègues (2020) ont mis en évidence que ces méthodologies n’impactaient pas plus les chiens avec une haute sensibilité sensorielle que les chiens avec une « basse ». Loin de moi l’idée de la banaliser, au contraire : la punition positive impacte TOUS les chiens et est dès lors à proscrire, que notre chien soit parsemé d’orchidées, de tulipes, ou de pissenlits.
    En revanche, on constate que pour la punition négative (le retrait d’un stimulus agréable - par exemple, l’attention ou la nourriture - après un comportement), l’impact diffère. En effet, dans son étude de 2020, Braem et ces collègues constatent, je cite : « des effets interactifs du cSPS [sensibilité aux traitements sensoriels] chez les chiens et de la "punition négative" signalée sur la survenue de problèmes de comportement : les chiens obtenant des scores plus élevés au cSPS […] présentaient une incidence accrue de problèmes de comportement lorsque la "punition négative" était signalée ». En somme, l’utilisation de la punition négative avec les chiens sensibles amène à une plus grande probabilité de comportements dits indésirables. Ces chercheu-r-ses font d’ailleurs le lien avec le monde de la petite enfance. En effet, il a été constaté que le retrait répété de quelque chose de désiré impacte négativement le bien-être des enfants (Glaser, 2002 ; Kairys, 2002).
    À cela, Braem (2024) rajoute que pour les individus très sensibles, un manque d'informations peut les rendre plus vulnérables au stress. En effet, souvenez-vous du « P » de PISS : la profondeur de traitement, ils ont besoin d’informations et de plus de temps pour traiter ces mêmes informations. Mais ajoutons à cela aussi le « S » de la sensibilité sensorielle.
    Associé ensemble, un manque d’informations clairs et leur seuil de tolérance plus bas peut conduire à état de stress plus rapide.
    Si vous lisez entre les lignes, vous voyez sans doute où je veux en venir : les auto-contrôles (ou le contrôle sans signal et généralisé) ainsi que la punition négative qui sont habituellement (et tristement) dans la définition de l’éducation positive font des dégâts sur les chiens hautement sensibles. Adapter l’environnement et utiliser le renforcement positif (l’ajout d’un stimulus agréable après l’apparition d’un comportement) seront – surtout avec les chiens orchidées – nos meilleurs alliés afin de les voir éclore et briller par leur éclat.

Conclusion :

Chacun de nos chiens est unique, chaque jardin, chacune de ces orchidées est différentes.  Je n’ai pu ici que vous résumer les brèves particularités d’un chien « hautement sensible », et ce sujet est encore peu étudié par la communauté scientifique, surtout dans le monde canin.

Merci à Christophe Page (ritournelle Canine) pour cette magifique photo de la Thandinouille déguisée en pissenlit ;-)

 Il est donc évident que si le jardin de votre chien comprend cette magnifique mais si fragile fleur qu’est l’orchidée, mon dernier conseil, et sans doute le plus essentiel, serait de vous faire accompagner par un.e expert.e qui connaît les fleurs de manière générale, et qui connaît celles-ci en particulier. Je ne peux, aussi que vous encourager à éviter les programmes tout faits même ceux dits « en positif ». En effet, si ces derniers sont parfois adaptés pour des jardins plus résilients, ils ne le sont pas pour autant pour VOTRE chien.
Ainsi, vous comprendrez, et j’espère que vous ne serez pas trop déçu.e, que je ne peux pas vous donner dans cet article d’exercices concrets à faire avec votre chien qui présente une sensibilité au traitement sensoriel. 
Évidemment, des activités spécifiques peuvent être mises en place pour ce dernier, cependant elles ne seront pas décrites ici car, pour que leur mise en place soit optimale, il faudra être précis.e sur une quantité de détails : l’engagement & la porte de sortie - le type d’exercice en lui-même - la difficulté - le moment idéal - etc.

Je vous le dis par expérience : C’est parfois un exercice de funambule. Afin de ne pas faire pire que mieux, il sera, à mon sens, plus que primordial de vous faire accompagner par un.e professionnel.le.s qui adaptera ces exercices à l’intégralité du jardin de votre chien. Reconnaitre les particularités de ce qui compose ce dernier - de ce qui impacte la croissance de son orchidée - adapter l’environnement seront des points essentiels.

Qu’on s’entende, votre orchidée ne deviendra jamais un pissenlit (désolé Thandi!). Non, elle restera à jamais une orchidée mais vous pouvez l’accompagner et lui donner tous les éléments pour aspirer à ce que sa floraison soit verdoyante. Rappelez-vous, les chiens avec une STS sont plus affectés que les autres chiens par des expériences négatives… mais également positives. Répondez aux besoins de son espèce et à ses besoins d’individus, entretenez votre relation, favorisez les activités sensorielles apaisantes, jouez, donnez-lui des plaisirs, utilisez le renforcement positif, ce seront là des engrais qui atteindront directement les racines de cette magnifique et unique fleur : l’orchidée de votre chien.


-Lola Burton-


Bibliographie

Acevedo BP, Aron EN, Aron A, Sangster M- D, Collins N, Brown LL (2014). The highly sensitive brain: an fMRI study of sensory processing sensitivity and response to others’ emotions. Brain Behav.  4:580–94. https://doi.org/10.1002/brb3.242 PMID: 25161824

 

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Aron A, Ketay S, Hedden T, Aron EN, Rose Markus H, Gabrieli JDE (2010). Temperament trait of sensory processing sensitivity moderates cultural differences in neural response. Soc Cogn Affect Neurosci.; 5:219–26. https://doi.org/10.1093/scan/nsq028 PMID: 20388694

 

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